Si j’en crois l’AFP, le poème d’Amanda Gorman, cette poétesse noire qui avait touché le monde entier lors de l’investiture de Joe Biden, cette poétesse devait être traduite par Marieke Lucas Rijneveld, jeune lauréate du « international booker » pour son roman « L’inconfort du soir ». C’est cette personne qui avait été choisie par l’éditeur et l’équipe d’Amanda Gorman, ce qui est probablement l’essentiel.
Eh bien Gorman ne sera pas traduite par Rijneveld parce que Rijneveld n’est pas noire… Rijneveld ne convient pas pour cette traduction parce qu’elle est « blanche, non-binaire (Rijneveld demande à être désignée à l’aide du pronom non-binaire « Iel »), et n’a aucune expérience en ce domaine ». Le seul argument acceptable serait éventuellement le dernier, sachant qu’il n’a plus de pertinence, dès lors qu’Amanda Gorman, et son éditeur, ont choisi Rijneveld pour traduire « The hill we climb », le poème d’Amanda Gorman.
Et c’est particulièrement terrible que cela tombe sur un poème où il était question d’unité, unité d’une nation, unité malgré un président, Donald Trump, qui avait tenté d’introduire de la désunion au sein de la nation…
« un pays meurtri mais entier,
bienveillant mais audacieux,
féroce et libre.»
Mais voilà, la maison d’édition a cédé à ceux qui refusaient que Rijneveld traduise Gorman. Même si l’idée qu’il faille être une femme noire pour traduire une femme noire est la négation de ce poème, la négation de l’idée même de traduction, puisque l’exercice même de la traduction est la désidentification – traduire cela suppose d’accepter de quitter une identité pour une autre, ce n’est plus une question de subjectivité – la subjectivité appartient à l’auteur, elle le quitte au moment de la traduction… Comme le disait Umberto Eco, traduire « ce n’est pas trahir, c’est négocier ». Et c’est la raison pour laquelle tout exercice de traduction suppose précisément de quitter une culture pour une autre, en acceptant que les choses changent – cela vaut de la Bible des Septante qui traduisit la Bible en grec, jusqu’au poème d’Amanda Gorman.
Traduire, c’est parier que des femmes et des hommes d’une autre culture, parfois d’un autre temps, vont partager les mêmes beautés et les mêmes références, c’est parier non sur des identités incommensurables mais sur l’idée même de l’universalité du genre humain.
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